« Le pessimisme et l’optimisme ne sont à mon sens, je le dis une fois pour toutes, que les deux aspect, l’envers et l’endroit d’un même mensonge. Il est vrai que l’optimisme d’un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi le faire mourir, s’il l’encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d’optimisme n’a jamais préservé d’un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s’il se trouve dans le champ de tir d’une mitrailleuse — ce qui peut arriver à tout le monde —, est sûr d’en sortir troué comme une écumoire.
L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches et des imbéciles. L’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c‘est le désespoir surmonté »
(BERNANOS, La liberté, pour quoi faire ?)
Pessimisme, optimisme, espérance ? Devant l’effondrement annoncé de notre civilisation, où nous situons-nous ? Voilà la question que nous adresse encore et toujours Georges Bernanos. Sommes-nous convaincus que la civilisation dans laquelle nous avons grandi, nous, nos pères et les pères de nos pères, a fait son temps et a bien l’âge, comme on dit, de faire un mort ? Ou bien qu’elle va recouvrer toute seule la santé, que tout va finir par s’arranger ? Nous serions alors dans l’une des formes opposées du même mensonge. Car en réalité rien n’est foutu et rien ne va s’arranger, tout est suspendu, en suspension au-dessus du temps, attendant que nous décidions de ce qui va advenir. Nous en sommes arrivés à un point où la civilisation qui nous a formés, dans laquelle nous avons grandi attend que nous lui tendions la main, comme on lance une bouée pour éviter à un naufragé d’être englouti par les flots de l’histoire. Mais pour lui tendre cette main partout où nous œuvrons, dans notre travail et nos activités, dans nos rencontres et nos engagements, il faut précisément être habité par une espérance, une espérance plus forte que toutes les difficultés qui nous semblent insurmontables, plus large que l’immensité de ce qu’il faudrait faire, plus puissante que le sentiment insidieux de notre propre impuissance — une espérance que Bernanos a bien raison donc de nommer « héroïque ». Les véritables héros ne font de grandes choses qu’à la condition d’être portés par une espérance héroïque. Si le héros donne à beaucoup des raisons d’espérer, c’est l’espérance qui fait le héros. Notre civilisation a le plus grand besoin d’espérance.
Francis Marfoglia
disponible à la Procure d’étincelles
« Un prophète n’est vraiment prophète qu’après sa mort, et jusque-là ce n’est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd’hui d’hommes d’affaires et de policiers, mais il a bien besoin d’entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu’elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l’avenir comme on attend le train. L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait. »
Pour la dernière fois, à la veille de mourir, Bernanos jette son défi d’homme libre au monde contemporain, tant il est vrai qu’une des fonctions de l’esprit est de réveiller sans cesse l’inquiétude, et de renverser toutes les garanties du confort intellectuel.